Photo

Pourquoi un tournesol ? Je n’en ai que faire de ce maudit tournesol. Oui, il m’a tout l’air d’être fané en plus. Au moins avant tu avais la décence de mettre le tournesol en arrière-plan seulement. Maintenant, il n’y a plus d’arrière-plan, il n’y a plus qu’un plan. A moins qu’il n’y ait plus de plan du tout. A quand le noir absolu ? Non cela ne te ressemblerait pas. Tu n’irais pas jusque-là. Tu mettrais sans doute un champ de tournesols. Un plan, un seul, large comme il faut ? Ou alors plein de tournesols, et là il y en aurait des plans ; un premier, un second, un troisième. Je friserais l’indigestion. Mais ça ne te suffirait pas. On pourrait même apercevoir le ciel, le plafond serait bas, gris, sinistre, le vent soufflerait et se devinerait à travers la courbure des immondes plantes.

En dépit de tout ce que tu me feras subir, je te chercherai encore et encore à travers la photo. Je jurerai t’avoir aperçue, tantôt au premier plan, tantôt quelques rangées plus loin. J’irai même visiter celles que les lois de la physique m’interdiraient d’atteindre. Je croirai reconnaître une silhouette. A chaque fois mon cœur bondira dans ma poitrine. Mais à chaque fois tu auras un temps d’avance sur moi et tu disparaîtras sans que je puisse te localiser. C’est malin de ta part tous ces tournesols. Mais si je continue à te poursuivre peut être verra-t-on à un moment la fin de ce maudit champ.

Oui elle est là l’idée. Il me suffit de courir tout droit désormais. Tu ne pourras pas t’enfuir par les côtés, de toute façon ils n’existent pas. D’un pas alerte désormais, je me précipite et sans réfléchir je cours, j’affronte les plantes, encore les plantes, toujours les mêmes plantes, je me prends des coups mais peu importe, seul compte la ligne d’arrivée, le moment où j’aurai passé cette fameuse dernière rangée. Elle doit bien exister. Je cours depuis des heures. Je n’ai pas aperçu une trace de ta blonde chevelure. Je suis épuisé mais je ne désespère pas de te rattraper. Les tournesols commencent à changer d’aspect. Non, en fait ce sont toujours des tournesols, mais quelque chose d’étrange se produit.

Oui, ça y est, j’y suis, j’arrive au bout de la photo, et tu es arrivé au bout de ton stratagème. Tu en as eu à revendre de tes maudits tournesols. Mais je vois désormais par transparence. Je redouble d’énergie. Bientôt je n’apercevrai plus rien. Et alors je t’apercevrai. Oui ça y est, la dernière rangée est franchie. Je m’arrête, je reprends mon souffle. Cette fois-ci tu ne peux plus te cacher. C’est la plaine à perte de vue. Tu es à cours d’imagination. En dépit de tous tes efforts, tu ne peux pas t’échapper. Tu le sais. Tu t’es même résignée, je t’aperçois désormais à une centaine de mètres devant moi. Tu me dis d’approcher. Je n’hésite pas. D’un pas décidé, je m’avance. Je distingue bien mieux ta silhouette désormais. Je serai bientôt à quelques mètres de toi. Je vois tout désormais. Je croise ton regard et j’esquisse un sourire. Toi tu l’esquisses depuis longtemps. Pourquoi cet air figé ? Bientôt je pourrai te toucher et alors tu réagiras. Même si tu ne parles pas, tes gestes le feront pour toi. J’approche désormais ma main de ton visage. Je veux simplement pouvoir caresser ta joue. Mes doigts effleurent ta peau. Elle est douce mais si froide. J’attends une réaction. Tu ne bouges pourtant pas. Mais j’insiste, je pose mes deux mains sur ton visage, je glisse sur ton cou. Je remarque alors que tu ne portes pas de collier. Cela me rappelle un souvenir. C’est cela en effet, tu as oublié ton collier peut-être. Mais tu n’as pas oublié ta robe. Je ne peux t’imaginer plus belle que dans cette tenue. Rien ne peut transcender ta beauté et ton charme davantage. Tu as même mis les souliers rouges. Mais qu’aperçois-je à tes pieds ? On dirait quelques photos de toi que tu auras fait tomber par mégarde. On peut deviner un tournesol dessus. Mais cette fois-ci tu devances le tournesol. Tu souris. Je ne sais pas pourquoi tu as choisi le tournesol. Mais je t’associe désormais à cette plante. Je ramasse les photos et je les glisse dans ta main. Tu ne réagis toujours pas. Même les photos semblent plus vivantes. Tu n’as même pas l’aspect d’une statue. Je commence à comprendre. C’est bien tout ce qu’il me reste. Je n’aurai jamais rien d’autre. Le vent se lève. Tu te courbes sous sa puissance. Une tempête approche. J’ai du mal à tenir debout. Et tu es en train de t’envoler devant moi. Dois-je te laisser partir ? Je ne le veux pas. Je te retiens par la main. Mais tu veux partir cette fois-ci. Tu es plus forte que moi. J’essaie pourtant de te retenir de toutes mes forces. Rien n’y fait. Tu vas m’échapper. Dans un dernier effort, alors que je sens que tu vas t’en aller pour de bon, j’arrache les photos que j’avais posées dans la paume de ta main. Tu es partie, définitivement. Je reste planté au milieu de la plaine. Je ne sais même pas où je suis. Comment pourrais-je savoir où tu es allée. Je glisse les photos dans ma poche. Je me retourne, et même les tournesols ont disparu.